La Liberté

Uber sommé de changer sa pratique

Consécutivement à deux arrêts du Tribunal fédéral, les autorités vaudoises et d’autres cantons agissent

Achille Karangwa

Publié le 28.06.2022

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Droit du travail » Bientôt un mois que l’affaire agite le canton de Genève. Depuis que le Tribunal fédéral a reconnu que les personnes travaillant avec Uber sont bien des salariés et non des indépendants, se pose également la question de leur statut dans d’autres cantons. En terres vaudoises, le Département de l’économie, de l’innovation et du sport (DEIS) considère dorénavant que ces travailleurs sont bien employés par l’entreprise. Celle-ci ne devrait plus être un simple «diffuseur de courses».

Changement de statut

Le conseiller d’Etat vaudois en charge du DEIS, Philippe Leuba, l’avait affirmé au Grand Conseil le 14 juin: «Il n’est plus possible d’ignorer le lien de subordination qu’exerce la société Uber sur les chauffeurs» à la suite de deux arrêts rendus par la Haute Cour le 30 mai. Si la multinationale prétend que ceux-ci, ainsi que l’accord trouvé à Genève, ne s’appliquent qu’au bout du lac, le ministre libéral-radical assure au Courrier avoir pris contact avec la société afin de lui notifier que, pour pouvoir continuer à exercer dans le canton de Vaud, celle-ci devra dorénavant «impérativement disposer du statut d’entreprise de transport de personnes à titre professionnel».

Uber étant considérée aujourd’hui comme «diffuseur de courses» au sens de la loi vaudoise sur l’exercice des activités économiques (LEAE), l’entreprise devra donc dans un «bref délai» déposer une demande d’autorisation pour cet autre régime ou «faire valoir des arguments contraires», explique Philippe Leuba. La société ne serait donc plus un intermédiaire entre client et chauffeurs, mais l’employeur de ces derniers.

Concurrence déloyale

«Selon le Service vaudois de l’emploi, ils sont 1539 dans le canton, dont 954 au bénéfice d’une autorisation d’entreprise de transport de personnes à titre professionnel, et 585 employés d’une entreprise de même nature. Deux tiers des chauffeurs disposant d’une autorisation travaillent donc plus ou moins régulièrement avec des diffuseurs de course (7 sociétés autorisées dans le canton).»

Si elle ne souhaite pas divulguer les statistiques concernant ses liens contractuels, la multinationale californienne indique qu’à ce jour, «tous les chauffeurs utilisant l’application sont soit employés par une entreprise partenaire, soit enregistrés en tant qu’indépendants auprès des autorités de sécurité sociale». Une situation dénoncée depuis longtemps par les taxis. «Nous n’avons rien contre la concurrence, si elle est loyale. Or, en n’employant pas la plupart de ses chauffeurs, Uber s’affranchit du paiement des cotisations sociales dont doivent s’acquitter les autres», critique Akrimi Abdelhamid, président de l’Union des taxis lausannois. Le professionnel espère que, à la suite des arrêts du TF, l’entreprise devra payer des arriérés.

Le secrétaire régional d’Unia Vaud Arnaud Bouverat appelait également de ses vœux une action des autorités cantonales afin qu’Uber soit considérée comme employeur. «Mais, en conséquence, il faut aussi que toutes les autorités compétentes agissent rapidement de concert afin que la société respecte la loi sur le travail et ses devoirs auprès des assurances sociales. Car Uber se joue des lenteurs et se livre à des manœuvres dilatoires», estime le syndicaliste. Le député socialiste au Grand Conseil avait formulé une interpellation en ce sens début juin. Avec son collègue PLR et président de Gastrovaud Gilles Meystre, il a également déposé mardi dernier un postulat invitant le gouvernement à convoquer une table ronde sur les plateformes de livraison de repas, autre pan concerné par les jugements de la Cour.

Démarches politiques

Le lendemain, son camarade Benoît Gaillard faisait adopter, à une large majorité (53 oui, 2 non et 5 abstentions), une résolution visant à «faire cesser le scandale Uber au plus vite à Lausanne!»

Dans le transport de personnes comme dans la livraison de repas, la municipalité devra, «y compris en s’associant à d’autres villes», tout mettre en œuvre afin que les travailleurs puissent faire valoir leurs droits, et que l’entreprise se mette en règle. Directrice de la cohésion sociale, Emilie Moeschler rappelle que pour faciliter cela, l’inspection communale du travail tient une permanence à laquelle la municipalité invite à s’adresser. Elle mettra prochainement à jour ses courriers types à la lumière des derniers développements.

Emilie Moeschler a aussi révélé qu’en date du 7 avril, la municipalité avait adressé un courrier incitant les sociétés de Smood et Simple Pay «à respecter les dispositions de la Convention collective de travail pour l’hôtellerie-restauration». Le municipal en charge de l’économie, Pierre-Antoine Hildbrand, indique pour sa part que des «contacts étroits» avec le canton permettront de s’assurer que des contrats de travail soient signés en ce qui concerne Uber. Résumant les événements des dernières semaines, Benoît Gaillard se réjouit du fait que «s’il y a dix ans ce n’était pas à la mode de s’élever contre son modèle économique, dorénavant il y a un large consensus pour que le comportement désormais illégal de l’entreprise cesse». Le Courrier


Neuchâtel en train d’élaborer un plan d’action

Aucun chauffeur ne roule pour Uber dans le canton de Neuchâtel. En revanche, Uber Eats y est active. La cheffe du Service de l’emploi, Valérie Gianoli, salue la décision du Tribunal fédéral concernant l’entreprise de livraison de repas. Elle affirme que le Département de l’économie et de l’action sociale analyse la situation. «Il s’agit d’un dossier très complexe, où toute une série d’éléments liés à l’organisation du temps de travail, à la rémunération et aux frais doivent être pris en compte. Nous sommes en train d’élaborer un plan d’action qui devra être mis en œuvre rapidement.» La cheffe de service refuse de dire si la situation du personnel de livraison a changé depuis le 3 juin et s’il bénéficie de contrats de travail. De son côté, Unia Neuchâtel affirme ne pas avoir de retour du terrain car les coursières et coursiers sont peu nombreux, encore moins syndiqués. JULIE JEANNET

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