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Enorme pataquès boursier chinois

A la dernière minute, Pékin annule la plus grosse introduction en bourse de l’Histoire

L’entrée de la Bourse de Shanghai reste fermée à la fintech Ant. Keystone
L’entrée de la Bourse de Shanghai reste fermée à la fintech Ant. Keystone
Publié le 05.11.2020

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Technologie » La plus grosse entrée en bourse de tous les temps interrompue in extremis: le pouvoir chinois a donné un coup d’arrêt aux ambitions du milliardaire Jack Ma dans la finance en ligne, déclenchant une déroute boursière pour Alibaba, le groupe dont il est le fondateur.

Ant Group, numéro un mondial du paiement en ligne, devait effectuer aujourd’hui une entrée en fanfare sur les places de Shanghai et Hong Kong, avec un montant jamais-vu pour une introduction en bourse: 34,4 milliards de dollars, soit 31,4 milliards de francs.

Mais à moins de 48 heures de l’événement, le régime chinois a sifflé mardi la fin de la partie.

A la Bourse de Hong Kong, la nouvelle a fait dégringoler hier l’action Alibaba, à qui Ant est affilié, avec une chute de 7,54% à la clôture. Mardi, Alibaba avait perdu 8,13% à Wall Street, où le groupe chinois était entré dans l’histoire en 2014 avec une introduction en bourse record pour l’époque: 25 milliards de dollars.

Le gendarme s’alarme

En pleine rivalité commerciale et technologique avec l’Amérique de Donald Trump, l’opération d’Ant Group était perçue comme un pied de nez à Wall Street, habituée des entrées en bourse record.

Ant Group, qui compte 731 millions d’utilisateurs mensuels actifs sur sa plateforme de paiement Alipay, a contribué à révolutionner le commerce et les services de paiement en Chine, les consommateurs utilisant désormais massivement leur smartphone pour régler leurs achats.

Mais l’entreprise a aussi suscité l’inquiétude des régulateurs financiers en faisant incursion dans le secteur des prêts personnels et à la consommation, de la gestion de patrimoine et des assurances.

Officiellement, les autorités de tutelle ont invoqué mardi les obligations d’Ant Group en matière d’information, alors même que la réglementation des prêts en ligne vient de se durcir.

Influence «inacceptable»

En clair, Pékin estime que les nouvelles obligations imposées à Ant vont peser sur ses résultats, réduisant d’autant le pactole promis à terme aux actionnaires.

Mais le régime communiste a pu aussi vouloir couper les ailes d’un groupe privé, à l’influence toujours plus grande.

Le Parti communiste chinois (PCC) «a une nouvelle fois rappelé à tous les entrepreneurs privés, aussi riches et célèbres soient-ils, que la roche tarpéienne est proche du Capitole», souligne le sinologue Bill Bishop, dans sa lettre d’information Sinocism.

«Ant est devenu une institution financière trop grosse et trop influente, ce qui est inacceptable pour le PCC», observe le chercheur Alex Capri, de la Fondation Hinrich, un organisme indépendant qui suit les évolutions du commerce mondial.

Selon lui, le régime du président Xi Jinping avait déjà été à l’origine du départ à la retraite de Jack Ma de la tête d’Alibaba, effectif en septembre 2019.

Cette fois, Jack Ma en personne a pu mécontenter le pouvoir fin octobre dans un discours où il a paru accuser les régulateurs d’entraver l’innovation dans le secteur de la finance en ligne.

Dès lundi, Jack Ma et les deux principaux dirigeants d’Ant avaient été convoqués par la banque centrale et les régulateurs des marchés financiers pour un entretien inhabituellement rapporté par les médias chinois.

Le puissant secteur bancaire public, qui voit d’un mauvais œil l’activité des prêts en ligne, a pu faire pression sur les régulateurs pour obtenir qu’Ant Group soit soumis aux mêmes règles prudentielles, observe Jackson Wong, spécialiste de la gestion d’actifs chez Amber Hill Capital.

Actionnaires furieux

Dans un communiqué, Ant a présenté ses excuses aux investisseurs et promis le remboursement des sommes déjà placées à des actionnaires furieux, qui espéraient une flambée du titre de l’ordre de 30 à 50% dès la première journée de cotation.

«Quand j’ai appris la nouvelle hier soir, je me suis dit: le Gouvernement chinois est vraiment incroyable», déclare Chris Liu, un investisseur qui avait emprunté 900 000 dollars de Hong Kong (100 000 euros) pour acheter des titres Ant dans l’ex-colonie britannique. «Je n’aurais pas imaginé qu’une introduction en Bourse puisse aussi mal tourner.»

L’avenir d’Ant Group dépend désormais de sa capacité à mener à bien ou non sa fameuse entrée en bourse.

«Je pense que l’introduction se fera toujours, peut-être dans six mois. Mais la publicité se fera plus discrète et le prix de l’action risque d’être plus bas qu’anticipé», prévoit Zhiwu Chen, professeur de finance à l’Université de Hong Kong.

Pas sûr qu’Ant parviendra à battre cette fois le record établi l’an dernier par le pétrolier saoudien Aramco, avec une introduction en bourse à plus de 29 milliards de dollars. AWP/ATS/AFP

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