La Liberté

Le dialecte sur les ondes

Comment le suisse allemand est-il utilisé dans les arts ou en politique? Focus sur les médias

Tania Buri

Publié le 20.01.2021

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Schwyzerdütsch (3/4) » Les journalistes Alain Croubalian de l’émission Vacarme sur la RTS et Tania Buri de Keystone-ATS décortiquent l’utilisation du suisse allemand dans différents univers, de l’art à la politique. Cette semaine, les médias.

Les médias alémaniques n’échappent pas au Schwyzerdütsch. Depuis le début des années 2000, la majorité des émissions de la radio et de la télévision suisse alémanique sont diffusées en dialecte. Seuls la météo et les bulletins d’informations sont donnés en Hochdeutsch.

Toutes les chaînes de la radio du service public utilisent ainsi le dialecte, à l’exception de SRF Kultur. L’émission hebdomadaire Schnabelweid, qui fête ses 30 ans durant ce mois de janvier, aborde durant une heure la question des langues de la Suisse. «Il y a des règles très claires que les émissions de la SRF doivent suivre à la lettre, pose Markus Gasser, l’un des producteurs de Schnabelweid. Les nouvelles et les infos-route doivent être obligatoirement en bon allemand, pour que vraiment tout le monde les comprenne.» Et toutes les autres émissions de la première chaîne sont en dialecte. Selon lui, toutes les émissions ne sont pas en Hochdeutsch parce que le Mundart, le dialecte, est la langue utilisée au quotidien en Suisse alémanique: «Et cela a à voir avec la proximité de l’auditeur.»

Seconde Guerre

«La radio est aujourd’hui un média de proximité qui cherche une relation affective avec l’auditeur. Toutes les radios font cela. Et en Suisse alémanique, c’est uniquement le dialecte qui produit de la proximité», poursuit Markus Gasser.

Le second producteur de Schnabelweid, le Fribourgeois André Perler, explique dans un français impeccable que les dialectes, «c’est vraiment une des choses les plus importantes pour les Alémaniques». L’émission traite de la variété des dialectes alémaniques, pas seulement de Suisse, mais aussi d’Allemagne, d’Autriche, du Liechtenstein et d’Italie. Et une ou deux émissions par année est consacrée aux patois romands.

A la question de savoir pourquoi le dialecte a pris une telle importance en Suisse alémanique, le journaliste, qui a étudié la dialectologie à l’Université de Fribourg, répond que c’est une question que l’on se pose toujours. «Mais le fait le plus important est sans aucun doute la Seconde Guerre mondiale. On rejetait en partie l’allemand comme une langue, un pays, une culture qui voulait incorporer tous les peuples germanophones. Je dirais qu’à partir de 1930, les Suisses alémaniques ont misé sur les dialectes pour ne pas complètement appartenir au monde germanophone.»

La touche patriotique

«C’est un fait: les partis conservateurs écrivent le dialecte en lettres capitales sur leur drapeau. Pour dire: «Regardez, c’est Notre Patrie», insiste Markus Gasser. La rédaction Mundart de la SRF essaie d’éviter les considérations politiques. «On envisage le dialecte comme la langue de tous. Même les gauchistes les plus extrémistes parlent suisse allemand. Ils peuvent être pour l’Europe à fond, et ne pas parler le Hochdeutsch quand même. Il y a des conservateurs qui s’en réclament pour se barricader contre tout ce qui est étranger. Mais ça ne suffit pas à expliquer le succès du dialecte. Zurich ou Bâle sont des villes ouvertes sur le monde. Elles ont 30% d’étrangers. Mais tous parlent dialecte, et ceux qui débarquent l’apprennent aussi.»

Pour expliquer la force du dialecte, Markus Gasser remonte dans le temps. Autour de 1850, la bataille faisait rage en Suisse. «On sentait que le dialecte était menacé par l’industrialisation, la démographie, l’exode rural, la globalisation, le chemin de fer, tout cela menaçait nos dialectes et menaçait de les faire disparaître.»

Et d’ajouter: «Beaucoup d’intellectuels au XIXe siècle plaidaient pour adopter le Hochdeutsch comme en Allemagne afin de ne pas rater le train du développement. En face d’eux, des politiciens se sont posés comme des défenseurs du peuple qui ne parlait que le dialecte. Ils avançaient que tous les Suisses alémaniques devaient être égaux quel que soit leur niveau d’instruction. Aujourd’hui, c’est un peu comme en 1848: on a peur que nos dialectes se bâtardisent. Pas d’un coup, mais qu’ils disparaissent petit à petit par érosion.»

Markus Gasser relève que les dialectes sont en train de se modifier à toute vitesse. «Les différents dialectes se mélangent petit à petit: des mots anglais s’immiscent. Et de plus en plus de mots d’allemand standard se mélangent aussi. Sans oublier le langage «jeune», avec ceux qui jurent en utilisant des mots très laids, pire que dans le temps…» ATS

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