La Liberté

Méditer en temps de crise

Face au Covid-19, les pratiques inspirées des traditions de méditation bouddhiste se multiplient

Méditation, attention à soi et aux grands espaces au bord du Königssee (Alemagne). © Unsplash
Méditation, attention à soi et aux grands espaces au bord du Königssee (Alemagne). © Unsplash

Gilles Labarthe

Publié le 04.01.2021

Temps de lecture estimé : 9 minutes

Tendances » Véritable phénomène de mode importé des Etats-Unis, la méditation dite «de pleine conscience» (Mindfulness) fait toujours plus d’émules parmi le grand public et jusque dans les institutions en Suisse. Hôpitaux, centres de santé, universités, milieux scolaires… appliquent depuis quelques années déjà cette démarche laïque inspirée des grands principes de la méditation orientale mais sous une forme très simplifiée et adaptée à des visées thérapeutiques ou entrepreneuriales dans notre monde occidental: réduction du stress, relaxation et meilleure gestion des émotions, entre autres. La pandémie de Covid-19 a suscité un vif regain d’intérêt pour cette approche et ses aspects positifs, toujours bienvenus pour mieux traverser les périodes de crise.

Or, la Mindfulness fait aussi l’objet de mises en garde de la part de scientifiques. D’autres spécialistes regrettent que les nombreux «manuels» désormais disponibles en librairie pour s’initier en vitesse au b.a.-ba de la Mindfulness soient relégués au rayon «bien-être», et ne présentent qu’une vision très réductrice d’un exercice plus approfondi de la méditation. «La vague du zen en Occident s’est intensifiée depuis une dizaine d’années et on ne compte plus le nombre d’ouvrages, d’émissions de télévision, d’applis pour smartphone ou de tutos visibles sur internet qui traitent du zen et de la méditation», remarque Jacques Borg. Ce médecin, professeur d’Université à Strasbourg et expert en neurosciences vient de publier un livre pour démêler le vrai du faux, «à l’ère du flux, où l’on veut tout, tout de suite» prévient-il. Voici quelques-uns de ses conseils, à retenir.

Préjugés tenaces

D’abord, il y a plusieurs préjugés et a priori à écarter. Il nous faut «dire clairement ce qu’est la méditation et, tout aussi essentiel, ce qu’elle n’est pas». Il serait illusoire de vouloir apprendre à méditer en quarante-cinq minutes ou en seulement quelques séances. Comme pour d’autres compétences, «l’acquisition se fait progressivement. Il n’y a pas de miracle. C’est un entraînement qui comme tout autre apprentissage demande engagement et patience. Méditer est un choix». Jacques Borg rappelle aussi une autre évidence, que les vendeurs de solutions en prêt-à-porter tendent à occulter: méditer est bien à la portée de chacun, mais sa pratique nécessite un effort, au moins de concentration. Si les effets positifs peuvent s’avérer rapides (et la Mindfulness insiste assez sur ce point), la méditation ne se résume pas à de la relaxation mais va bien au-delà. Elle ne se limite pas non plus au seul «développement personnel». En effet, «la méditation est une attitude qui gouverne à la fois le corps et l’esprit de manière plus vaste que sa propre personne. Les bienfaits de la méditation se répercutent sur les proches. Cet effort, nous le faisons pour nous-mêmes, mais aussi pour nos proches. Il a donc d’autant plus de valeur que même ceux qui ne pratiquent pas la méditation en bénéficient».

Se poser, se pauser

Méditer, ce n’est pas non plus s’isoler et se couper du monde en rejetant les problèmes à l’extérieur. Il s’agit bien de «se poser» (ou de «se pauser», comme l’exprime aussi l’auteur), mais cette attitude s’apparente plus à une manière originale et non dogmatique de «résoudre les obstacles»… en position assise et sans aucun déplacement, en réunissant nos propres énergies. «Commençons par observer la situation, évitons de nous placer en dehors de la problématique. Ne nous jugeons pas plus légitime, dans notre bon droit, alors que nous avons sans doute une responsabilité, même minime, dans la situation que nous vivons. Méditer permet de prendre conscience des interactions entre les individus et plus largement entre nous-mêmes et l’univers qui nous héberge. Etre conscient de notre corps, de nos émotions et de notre esprit est une démarche fondamentale au vu des multiples changements qui apparaissent dans la société actuelle». On retrouve ici les grands principes des enseignements bouddhistes – zen et de «pleine conscience» – diffusés en France dans les années 1970 respectivement par Taisen Deshimaru (moine japonais) et Thich Nhat Hanh (moine vietnamien).

Une révolution intérieure

Car méditer, c’est explorer. Dès la même époque, le philosophe et maître spirituel indien Jiddu Krishnamurti (1895-1986) diffusait les mêmes paroles aux Etats-Unis, centrées sur la vigilance et l’attention au monde qui nous entoure, inspirant des principes d’éducation alternative et les mouvements de la contre-culture, de Porto Rico jusqu’en Californie: «Seuls les individus qui brisent le carcan des schémas sociaux en les comprenant, et qui cessent par conséquent d’être prisonniers du conditionnement de leur propre esprit, sont en mesure de faire éclore une nouvelle civilisation». Comment y parvenir? «La méditation n’est ni une religion, ni une doctrine. Seule la pratique compte», note Jacques Borg. L’expérience individuelle prévaut. Il est recommandé de tracer son propre chemin en profitant des conseils d’un instructeur expérimenté, tout en restant libre et sans relations de dépendance. On peut aussi méditer en groupe, en commençant par le travail sur la posture et la respiration, étapes préalables avant l’ouverture des six portes libérant progressivement l’esprit des jugements de valeur et discriminations, selon la tradition des maîtres zen.

«La méditation n’est ni une religion, ni une doctrine. Seule la pratique compte»
Jacques Borg

Jacques Borg propose quant à lui un entraînement en huit étapes: trouver la bonne posture, soigner la respiration; observer la réalité; être attentif, ne pas s’attacher aux pensées, les laisser couler; observer les obstacles émotionnels; ne pas juger, cultiver la bienveillance; passer de «faire» à «être»; enfin, ne pas lutter, mais chercher l’harmonie, sans se presser. «La méditation ne s’enseigne pas. On ne peut donc pas envisager de diplôme ou de certification en méditation», souligne enfin le médecin français. Cet avertissement réactualise les positions claires des maîtres zen insistant sur l’importance pour chacun de trouver sa voie, à l’abri des dogmes, instructeurs et parfois hélas, «experts» peu scrupuleux – autodidactes ou improvisés.

» Jacques Borg La méditation zen - guide pratique pour méditer jour après jour, Ed. Ellipses, 264 pp.


Rester prudents avec les «pratiques express»

Parmi les approches les plus populaires mais aussi, les plus réductrices de la méditation, figure la MBSR-Mindfulness Based Stress Reduction.

Ce programme de méditation dite «de pleine conscience» a été développé vers la fin des années 1970 aux Etats-Unis par Jon Kabat-Zinn, professeur de médecine émérite à l’Université du Massachusetts et docteur en biologie moléculaire. Il destinait à l’origine la MBSR à des fins cliniques. Objectif: «diminuer le stress, l’anxiété et la souffrance psychique, mais aussi physique» de ses patients, comme il le rappelle, après un entraînement sur huit semaines, avec des sessions de 45 minutes par jour. Aux Etats-Unis, des centaines de centres de santé, hôpitaux ou cliniques recourent désormais à la MBSR dont les résultats bénéfiques ont été attestés par des études scientifiques (augmentation des comportements favorables à sa santé, meilleure gestion de la douleur, amélioration du fonctionnement immunitaire, réduction des conséquences physiologiques du stress, de l’anxiété et du burn-out, entre autres). Jon Kabat-Zinn a depuis adapté sa méthode au personnel soignant, aux cadres, aux entrepreneurs, aux sportifs de haut niveau… ainsi qu’à l’armée américaine, qui «s’y intéresse pour augmenter la résilience des soldats», explique-t-il.

Certains spécialistes s’inquiètent de tels programmes trop orientés sur l’efficacité: ces «pratiques express» tendent à sortir la méditation de son contexte, de manière trop peu ou mal encadrée. En 2018, un article publié dans la revue Perspectives on Psychological Science et signé par une quinzaine d’experts – américains, notamment – mettait en garde contre certains abus (phénomènes de consensus et de mode, pénalisant d’autres types de soins traditionnels; manque de contrôle des institutions de santé, entre autres sur la véritable expertise et formation des instructeurs; absence d’études approfondies menées à grande échelle…) Sans oublier les effets secondaires ou risques encourus, en particulier pour des personnes vulnérables, en situation de trouble ou de détresse psychologique. En Suisse, les recherches scientifiques approfondies à ce sujet et sur un large échantillon de patients restent encore quasi inexistantes, ou ne font que commencer. GIL

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