La Liberté

Les mots peuvent aussi être mordants…

Yves-Alexandre Thalmann psychologue, enseignant au Collège Saint-Michel

Publié le 12.01.2024

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Lors d’une récente interpellation au Grand Conseil, un député s’est fendu d’une magnifique tirade: «Le mot chien n’a jamais mordu personne.» Cette phrase est en réalité une citation de Ferdinand de Saussure, un éminent linguiste suisse décédé il y a plus d’un siècle. Il y est question de la distinction entre le signifiant et le signifié, à savoir ici le mot et sa signification. Le mot «chien» n’est évidemment pas un animal susceptible d’infliger des morsures. Juste un innocent son dans notre esprit. Quoique… Allez dire qu’une image d’araignée (le signifiant) n’a jamais fait de mal à un individu souffrant de phobie. Pareil pour une araignée en plastique. Dans sa tête, la seule évocation de l’inoffensif arachnide suffit à déclencher une peur panique. Les images et les mots sont loin d’être anodins. Le peintre René Magritte avait illustré ce phénomène par de fameux tableaux qui n’en finissent pas d’étonner les enfants. Par exemple la représentation d’une pipe avec l’annotation: «Ceci n’est pas une pipe.»

C’est que les signifiants acquièrent certaines propriétés de ce qu’ils représentent. Dans notre esprit, les mots ne sont pas seulement des suites de sons, mais ils transportent bel et bien des significations. Preuve en est, lorsque nous lisons un texte, nous n’en restons pas à déchiffrer des graphèmes, nous accédons immédiatement au sens des phrases. Essayez par vous-même de décoder les lettres sans penser au sens de ce que vous lisez, comme vous le feriez dans une langue étrangère. Difficile, n’est-ce pas? Notre esprit opère automatiquement une fusion entre le signifiant et le signifié. Raison pour laquelle nous pouvons vivre dans un monde d’images – vous savez, celles qui s’affichent sur l’écran de votre smartphone – comme si c’était la réalité.

La fusion mentale, dont nous sommes toutes et tous victimes, est à l’origine d’un phénomène fort désagréable: les pensées peuvent nous tourmenter. Nous pouvons nous parler durement à nous-mêmes, en nous traitant de noms que l’on ne tolérerait pas de la bouche d’autrui. Pourtant, lorsque ces critiques se font jour dans notre esprit, nous pourrions simplement les considérer comme des suites de sons et rien de plus – une technique thérapeutique appelée «défusion mentale». Nous devenons alors l’observateur de nos propres pensées, sans adhérer à leur contenu, sans croire qu’elles disent vrai.

Défusionner les pensées constitue un entraînement de longue haleine, qui peut venir à bout des ruminations mentales. C’est une clé thérapeutique pour de nombreux troubles psychiques tels que la dépression ou l’anxiété. La méditation de pleine conscience en est une pratique à l’efficacité avérée. C’est dire que pour la plupart d’entre nous, les mots ne sont pas innocents. Certains d’entre eux peuvent être si mordants qu’ils nous précipitent dans les affres de la souffrance. Ce que l’on dit et comment on le dit importent, parfois plus que la réalité qui est soutenue par le langage.

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